14 mars 2006

Truffaut / Godard, une Japonaise passe

On se rappelle cette photo de Domicile conjugal (Truffaut, 1970) : Claude Jade (Christine Doinel ex-Dalbon) et J-P. Léaud (Doinel) côte à côte dans leur lit, elle lisant un livre sur Noureev, lui un livre sur les femmes japonaises. "C'est pour mon travail", prétend-il. Inutile de mettre la photo ici, tout le monde la connaît.Quand Christine découvre l'infidélité d'Antoine, il se justifie :"Elle, c'est un autre continent, tu comprends ?" Dans le film, elle s'appelle Kyoko, au générique elle est créditée comme "Mademoiselle Hiroko", en fait Matsumoto Hiroko.Chez Godard, la Japonaise, on la trouve dans Made in USA, 1966. Elle s'appelle Doris Mizoguchi (et dans la réalité, différemment bien sûr), Anna Karina (Paula Nelson) la trouve à son retour dans sa chambre d'hôtel, en compagnie de son copain, le neveu de celui que Karina a assommé et qui se trouve encore sur le lit. En fait, il s'agit plutôt de leur chambre ou de celle de l'oncle, contiguë à celle de Karina pour mieux la surveiller. Elle gratte une bluette sentimentalo-nippone qu'elle a commencée dans la salle de bains - lieu de torture de Belmondo dans Pierrot (1965)- et qu'elle poursuit dans la chambre, sur le bord du lit, pendant que lui, Yves Alonso, sosie de Belmondo- Allons-y Alonzo, tape sur sa Remington. Il écrit un roman qu'il ne finira jamais et qu'il appellera donc Le Roman inachevé. Aragon avait encensé Pierrot.Autant la Kyoko truffaldienne est vénéneuse et mortifère ("si je me suicide un jour avec quelqu'un, j'aimerais que ce soit avec toi"), autant chez Godard la Japonaise est une plante verte.
Karina, ex-Marianne Renoir, arrache la feuille à la machine et lit :
Qui est l'actrice aux yeux d'iris lourd et noir comme un bouquet
La Japonaise a soudain pour moi des airs de Manet
Sans doute est-elle comme moi lasse d'écouter leurs fadaises
Elle ne se sert que des mots que l'on connait.
Elle vient de là, la Japonaise. L'accessoire chez Godard n'est jamais exempt de double fond.

L'une chante, l'autre aussi : un peu plus loin dans un café, Marianne Faithfull. Elle a alors 20 ans.Elle chante son tube As Tears Go by pendant que Léaud découvre, blague de comptoir, la vitesse de l'amour.Et alors ? Comment ce hasard se termine-t-il ?
L'amourette Antoine Kyoko est à bout de souffle. Effrayé et glacé, il passe plus de temps aux toilettes du restaurant et au téléphone qu'à table avec son Continent.
Elle lui signifie la rupture en lui laissnt le message ci-dessous (il y avait eu un précédent de bandelettes -"elle s'appelle kyoko et elle t'aime"- qui avait provoqué la rupture avec Christine).
Ça se lit : "katté ni shiyagaré", ça signifie ce que dit le sous-titre et c'est la manière dont au Japon on a traduit A bout de souffle.
Parce que si vous n'aimez pas la mer, si vous n'aimez pas la campagne... vous savez ce qu'il vous reste à faire.
Doinel, qui avait proposé à Kyoko à leur premier rendez-vous d'aller au cinéma (dans un des photogrammes du haut, c'est Pariscope qu'il feuillette), cette fois-ci, il est servi.